...au cœur du dernier vignoble gessien

La maternité

Par Patricia AUBERTHIER

Nous connaissons tous les inscriptions « made in Taïwan » ou plus généralement « made in ailleurs » mais pendant de nombreuses années beaucoup de bébés gessiens ont été « made in Challex ».

Il ne s’est pas avéré facile de retrouver des archives concernant la maternité challaisienne.

Je voudrais d’abord vous parler de Mme Arandel et de son métier de sage-femme en vous donnant quelques aspects de la vie quotidienne à la maternité. Je vous raconterai ensuite quelques anecdotes et vous parlerai bien sûr de bébés…tous bien grands maintenant !!!

Soyez indulgents pour le manque de précision au niveau de certaines dates, lisez cet article comme un album de souvenirs où les témoignages recueillis sont davantage d’ordre émotionnel qu’historique !

C’est Madame Jeanne Fort née le 26 février 1897 à Challex épouse Arandel qui a exercé le métier de sage femme pendant une quarantaine d’années dans notre village (de 1925 environ à 1965).

Un décret du 9 janvier 1917 organise les études de sage-femme sur 2 ans. Une année pour apprendre les bases des soins généraux et une année pour aborder l’obstétrique et la puériculture. On peut donc supposer que notre sage-femme challaisienne âgée de 20 ans en 1917 a suivi cette formation.

Mme Arandel a probablement commencé à exercer son métier dans les années 1920-25 à domicile uniquement. Les témoignages de Mme Ginette Collet et de M. Roger Lapalud permettent d’affirmer qu’en 1924 et 1934 c’est Mme Arandel qui les a aidés à venir au monde « à la maison… ».

C’est en 1940 que la maternité a officiellement ouvert ses portes. Aucun document officiel n’a été retrouvé, mais plusieurs témoignages l’attestent.

On peut cependant penser qu’avant cette date il est certainement arrivé à Mme Arandel d’héberger chez elle des patientes dont l’accouchement présentait des difficultés et certains bébés sont sans doute nés à la maternité avant son ouverture officielle.

La grande activité de la maternité a commencé dans les années 1945-50. Malgré l’ouverture de sa maternité où elle exerçait en priorité, Mme Arandel a continué pendant de nombreuses années à pratiquer à domicile également à la demande de ses patientes. Il est vrai que la vie ne permettait pas toujours aux mamans de rester une semaine loin de la maison. C’est ainsi qu’en 1960 encore elle a accouché un bébé au domicile de la famille Charvet (Vous avez trouvé lequel ?…c’est le papa de Tom !).

La maternité se trouvait à l’actuel n° 302 rue Saint-Maurice. L’aspect extérieur de la maison, propriété de M. et Mme Stussi, n’a pratiquement pas changé. L’entrée de la clinique se situait sur le devant de la maison face à l’église. Le bâtiment servait à la fois de ferme (M. Arandel était agriculteur) et de maternité !

La maternité se composait à l’origine de 2 chambres situées au 1er étage. Chaque chambre comportait 2 lits ce qui permettait d’accueillir 4 parturientes.

Il arrivait cependant que certaines semaines (celles de pleine lune bien sûr…) la chambre privée de la sage-femme et même le couloir se transforment en chambre supplémentaire.

Les premières années, les accouchements avaient lieu sur place, c’est à dire dans le lit même de la future maman. Par la suite la plus grande chambre a été scindée en 2 parties pour permettre l’installation d’une petite salle d’accouchement sur le devant de la maison.

Le séjour (en principe de 8 jours) se déroulait généralement de la façon suivante : du 1er jour de l’accouchement jusqu’au 7ème jour la maman restait pratiquement toujours couchée et le jour suivant elle retournait à la maison …avec le nouveau bébé et tous les travaux qui attendaient !

Le métier de maman est difficile, mais il me semble que physiquement il l’était encore plus dans ces années là…

La sage femme assumait les visites prénatales, le soin aux bébés et bien sûr l’intendance car il fallait nourrir tout ce petit monde…

« La table » de Mme Arandel était très réputée…et je ne parle pas là de la table d’accouchement ! Tous les témoignages concordent pour dire que les repas étaient très bons et très copieux. Trop parfois, mais on devait tout manger. On ne contrariait pas Mme Arandel.

On raconte même qu’elle n’a pas hésité à sermonner certains pères qu’elle ne jugeait pas assez attentifs …et ils l’écoutaient car on craignait Mme Arandel !

Elle appliquait tout simplement à la lettre le proverbe « qui aime bien châtie bien ». Elle avait à cœur le soin qu’elle donnait à ses patientes et à leurs bébés. La semaine passée à la maternité devait être une semaine de repos.

Il est même arrivé que Mme Arandel endosse à la fois la casquette de « nounou » et de sage femme. Selon le témoignage de Mme Davit, pour la naissance de son 3ème enfant c’est Mme Arandel qui s’est chargée de la garde pendant toute la semaine de son 2ème bébé âgé de 11 mois. (oui le 2ème bébé c’est Eliane !)

Mme Arandel demandait parfois l’assistance de ses collègues « les demoiselles Mermet » de Bellegarde et en cas de problème médical c’était le Dr Jean Corcelle qui était appelé. M. Arandel, qui possédait l’une des premières voitures du village (1 traction avant 11CW noire), était parfois appelé en renfort pour conduire à l’hôpital de St-Julien-en-Genevois une patiente dont l’accouchement se présentait mal.

Jusqu’aux années 1960, Challex ne comptait pas beaucoup de voitures et la plupart des futures mamans challaisiennes partaient accoucher à pied au gré des saisons !

Janvier 1952, il est 5h du matin et il neige. Mme Duraffour prévoyante en raison du mauvais temps préfère se rendre à la maternité avec un peu d’avance sentant l’arrivée de son 1er bébé imminente. Elle fait appel à M. Ernest Bouzoud seul propriétaire d’une voiture à Mucelle. Malgré l’abondance de la neige qui ne cesse de tomber le voyage se passe bien…jusqu’à la salle des fêtes ! Arrivée au sommet de la petite côte rue de la mairie la voiture refuse d’aller plus loin : trop de neige. Pour Mme Duraffour il n’y a qu’un seul choix, le voyage doit continuer et c’est à pied dans la neige et en pleine nuit qu’elle s’est rendue à la maternité pour donner naissance à Christine vers 17h le 19 janvier 1952.

Juillet 1962, c’est par une chaude après midi d’été que, sentant les douleurs arriver, Mme Cautillo décide de partir seule à pied de la Tuilière pour la maternité (au bas mot 3 km).
« – Par discrétion je ne voulais pas passer par le village et j’ai choisi d’emprunter la ruelle de Montbrison beaucoup moins fréquentée… je croyais ne jamais arriver au sommet des escaliers ! »
C’est les mains sur la tête en signe de stupéfaction que Mme Arandel a accueilli la future maman qui, quelques instants plus tard, donnait naissance à une belle petite fille de 4 kg… ». Le papa en rentrant de son travail le soir a tout de suite compris le message des enfants restés à la maison « – maman nous a dit que tu devais aller la chercher, elle est partie acheter du pain ! »…

Pierre Cuzin se souvient… J’étais dans la cour de l’école (située à la mairie à cette époque) et l’institutrice me dit – « regarde ta maman, elle part à pied avec sa valise te chercher un petit frère ou une petite sœur ».

L’arrivée des bébés était à l’époque encore un grand mystère !

Le retour de la maternité se passait généralement beaucoup mieux car il était programmé lui.. Pour les personnes qui n’avaient pas de voiture, c’est M. Arandel qui raccompagnait la maman et le bébé à la maison.

C’est le 5 mai 1940 que le 1er bébé est officiellement né à la maternité de Challex et c’est… Pierre Cuzin qui a cet honneur, je crois d’ailleurs qu’il en est fier.

« Je vous parle d’un temps …. » où pilule et échographie n’existaient pas et laissaient beaucoup de place aux familles nombreuses et aux surprises. Des fratries entières sont nées à la maternité parmi elles les familles de :
– Henri Nabaffa (6 enfants, tous nés à la maternité de Challex )
– Roland Martin (6 enfants dont 5 nés à la maternité), Nunzio Cautillo (10 enfants dont 4 nés à la maternité)
– Charvet (6 enfants dont 4 nés à la maternité)
– Stéphane Davit (5 enfants dont 4 nés à la maternité)

La plus grande et la plus belle des surprises dans la vie professionnelle de Mme Arandel s’est déroulée le 4 novembre 1952. Ce jour là notre sage-femme a accouché des triplées !…Annie, Claude et Jöelle qui sont venues tenir compagnie à leur frère au foyer de M. et Mme Manigley de Farges.

La maternité a fermé ses portes en 1965. Malgré la fermeture proche, la 2ème semaine du mois de mai la maternité affichait encore complet. Une jolie « brochette » de 4 bébés est arrivée la même semaine dont 3 Challaisiens, Maryse Martin le 15 mai, Olivier Davit le 18 mai et Jocelyne Blazer le 19 mai. Lucienne Balzer se souvient encore de la réflexion de Mme Arandel …
« Vous allez avoir le plus mauvais lit car tous les autres sont pris… » Elle se rappelle en effet de ne pas avoir eu un très bon lit mais elle garde un souvenir amusé de cette semaine passée à la maternité.

Après ce mois de mai fertile 3 bébés ont encore vu le jour à la maternité de Challex. Un bébé de St-Jean-de-Gonville le 26 juin et un bébé de Péron le 29 octobre. C’est Anne Böhlen née le 3 août qui est le dernier bébé challaisien de la maternité.

On parle de 2 000 bébés nés à la maternité en 25 ans d’existence …

Avant de refermer cet album je remercie chaleureusement toutes les personnes que j’ai contactées et qui m’ont si gentiment permis de raconter leurs souvenirs …

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